Deux immeubles de rapport représentatifs d'une tendance régionale

Voici deux immeubles de rapport encadrant la rue Marie Debos, qui bien qu'indiqués dans l'inventaire du patrimoine d'Ile-de-France, n'ont pas été localisés durant longtemps. En effet, leur emplacement était signalé sous le nom ancien de l'avenue Pierre Brossolette (avenue de Chatillon) et la numérotation a été de surcroit modifiée...

 

Adresse : 83-85 avenue Pierre Brossolette

Architecte(s) : Georges VAUCHERET

Date/ période : premier quart XXe siècle

 

Les mots en astérisque renvoient au répertoire des termes architecturaux ICI

Georges Vaucheret est l'auteur de ces deux constructions (l'une d'entre elles a été construite pour les frères Gillet, entrepreneurs). Bien que peu connu, et que ces deux édifices semblent être les seuls encore référencés de ce maître d'œuvre* (1), il s'agit d'un architecte issu des Beaux-Arts (2). Sa formation transparait assez bien dans le parti* architectural et ornemental de ses œuvres montrougiennes, puisqu'il s'agit de réminiscences du maniérisme* français (qui est le plus souvent qualifié à tort de style Henri IV ou Louis XIII).


Cette tendance était fort à la mode à la fin du XIXème siècle, jusqu'aux années 1920. En effet, les architectes considéraient que ce choix dans le répertoire de styles* dans lequel il était possible de puiser répondait bien au programme* de l'immeuble de rapport pour familles modestes et la petite bourgeoisie (3). Les attributs de ces immeubles répondaient à une traduction plus ou moins fidèle d'une expression d'une période historique (formant part de ce que certains historiens qualifient d'éclectisme archéologique*), tout en employant en partie des matériaux moins onéreux (la prépondérance de la brique sur la pierre). L'un des premiers exemples de ce courant a été construit par Henri Labrouste ; il s'agit de l'hôtel Fould (datant de 1858, détruit depuis) (4). De nombreux immeubles ont été ensuite réalisés dans cette veine, notamment celui 132 rue de la Roquette à Paris (Brouilhony architecte, fin des années 1860) (5) ou encore celui 14 rue Paul Valéry, toujours à Paris (Denfer et Friésé architectes, 1889) (6).


Dans les édifices de Vaucheret, datant de 1903, l'éclectisme archéologique* tend en partie à s'effacer devant une certaine abondance ornementale (notamment les consoles de balcons, dont certains - ceux secondaires - se référent davantage à la transition entre classicisme et rocaille ; photographie ci-contre).

Cela s'ajoute à l'exploitation des nouvelles possibilités offertes par les oriels* en architecture, influence probable du règlement d'urbanisme de 1902 concernant la ville de Paris (photographie 3 et documents ci-dessus). Néanmoins, le positionnement de ces bow-windows* n'est pas gratuit ; en effet, ils permettent d'indiquer en façade le nombre d'appartements de l'immeuble et de signaler leur pièce la plus importante (salon ou salle à manger). En cela, les réalisations de cet architecte suivent plutôt une autre perception de l'éclectisme*, en s'appuyant sur différentes références et intégrant même des allusions aux conventions rationalistes* qui commencent à se répandre à la fin de la Belle Epoque.

En ce qui concerne les plans, il est facile de constater que la clientèle visée par l'opération est relativement modeste. Le faible nombre de pièces par appartement à chaque étage (deux de deux pièces et un de trois) et l'absence de salle de bains confirment cette impression. La rentabilisation de la superficie construite explique probablement les salles biscornues. En revanche, un réel travail a été réalisé au niveau des circulations* pour les réduire et les concentrer en desservant les trois appartements (documents ci-dessus). Les principes de la tripartition spatiale* restent bien appliqués, avec les salles de réception aux positions les plus favorables (angle, rues...) ; une des chambres donne sur la cour, sur le côté le plus long ; et les services sont regroupés autour de la cour.

Photographie 3
Photographie 3

Photographie 4
Photographie 4
Photographie 5
Photographie 5

L'immeuble à gauche de l'entrée de la rue Marie Debos est destiné à des catégories plus laborieuses que le précédent, ce que souligne la façade qui est peinte (photographie 4) et l'absence de gaz à tous les étages (7). La présence d'enduit au niveau des étages aurait pu laisser supposer l'utilisation du béton, au moins pour la structure ; mais les plans présentés montrent l'utilisation de murs porteurs en agglomérat de pierre peu noble.

Par ailleurs, l'ornementation des extérieurs est plus grossière, avec des tables moulurées et des chaînages qui semblent stylisés aux étages

des travées secondaire, simulant des pilastres (photographie 5).

Il faut remarquer la densité alors peu habituelle de ces constructions dans le Montrouge d'alors (voir le premier article). Cela se perçoit encore aujourd'hui dans les rues secondaires donnant sur l'avenue Pierre Brossolette, avec des secteurs pavillonnaires jouxtant des immeubles de rapport. Le fait que ce soit une importante artère routière menant à Paris a du jouer sur l'implantation précoce de ce type de logements au niveau de cette voie.

 

Article : Michaël Mendès - Architecte


Notes :

(1) Voir JUBELIN-BOULMER Catherine, Hommes et métiers du bâtiment 1860-1940, l'exemple des Hauts-de-Seine, Paris, Centre des Monuments Nationaux et éditions du Patrimoine, 2001, p.299, pour plus de détails sur sa carrière.

 

(2) Voir DELAIRE Edmond-Augustin, Les architectes élèves de l'Ecole des beaux-arts (1793-1907), Paris, Librairie de la construction moderne, 1907, p.420.

 

(3) Citation de DARVILLE Will et LUCAS Charles, Les habitations à Bon Marché en France et à l'étranger, Paris, Librairie de la Construction Moderne, 1899 (version révisée en 1913), cité in LAPIERRE Eric (dir.) et Pavillon de l’Arsenal (Paris). Identification d’une ville architectures de Paris [catalogue de l’exposition, Paris, Pavillon de l’Arsenal, mars 2002]. Paris: Pavillon de l’Arsenal Picard éd., 2002, p.63.

 

(4) LAPIERRE Eric (dir.) et Pavillon de l’Arsenal (Paris). Identification d’une ville architectures de Paris [catalogue de l’exposition, Paris, Pavillon de l’Arsenal, mars 2002]. Paris: Pavillon de l’Arsenal Picard éd., 2002, p.63.

 

(5) MIGNOT, Claude. Grammaire des immeubles parisiens six siècles de façades du Moyen Age à nos jours. Paris: Parigramme, 2004, p.127-128.

 

(6) LAPIERRE Eric (dir.) et Pavillon de l’Arsenal (Paris). Identification d’une ville architectures de Paris [catalogue de l’exposition, Paris, Pavillon de l’Arsenal, mars 2002]. Paris: Pavillon de l’Arsenal Picard éd., 2002, p.63.

 

(7) RIVOALEN, E., Maisons Modernes de Rapport et de Commerce, Paris, Fanchon éditeur, 190., septième livraison.