Des pavillons et ateliers d'artistes incluant le cabinet d'un groupe d'architectes important de l'entre-deux guerres

Nous évoquons ici l'un des témoignages les plus pittoresques - à l'origine - de la commune de Montrouge, réalisé par l'un des membres d'un cabinet d'architecture réputé de la région parisienne.

 

Adresse : 2-22 Place Jules Ferry

Architecte(s) : Eugène Gonnot

Date : entre-deux guerres

 

Les mots en astérisque renvoient au répertoire des termes architecturaux ICI

Eugène Gonnot est le principal maître d'œuvre de cette réalisation. Il a étudié à l'origine à l'Ecole des Beaux-arts de Paris, ayant suivi l'enseignement d'un des spécialistes de l'architecture sociale, Alexandre Maistrasse (l'auteur de la cité-jardin de Suresnes). D'ordinaire, il est assisté par un autre collègue, Georges Albenque, qui a eu Paul Guadet comme maître (le fils de l'un des diffuseurs des principes rationalistes* en France, Julien Guadet) (1); cependant, le projet (dont certains documents ont été retrouvés dans les archives municipales de Montrouge) ne désigne que le premier comme auteur (2). Les deux associés ont notamment édifié les Habitations à Bon Marché* de la rue Henri Becque (3), qui furent un temps pris comme modèle pour les Offices Publics correspondants comme modèle pour la constructions des logements défavorisés (non sans critiques, le manque d'espace et de confort et les sanitaires communs les ont parfois faits passer dès les années 1930 comme des "taudis officiels" (4)). Ils sont aussi les auteurs de l'une des plus importantes cités-jardins de France, celle de Stains (5).

 

L'ensemble abordé aujourd'hui, s'étendant sur la place Jules Ferry et l'avenue Aristide Briand, comprend entre autres le siège de leur cabinet entre 1930 et 1943 (6) (Gonnot décède l'année suivante). Il comporte de nombreuses similitudes avec une œuvre légèrement antérieure, le Hameau du Danube (dans le XIXème arrondissement de Paris, dans le quartier de la Mouzaïa). Les deux réalisations sont caractéristiques d'un rationalisme pittoresque* dont l'essentiel de l'ornementation a été remise au goût du jour suite à l'Exposition des Arts Décoratifs de 1925*.

 

 

Il est notamment possible de retrouver la pergola* d'entrée, les loggias* d'angle (photographie 2), dessinées avec une certaine simplicité des formes, mais avec soin, en jouant sur le calepinage* des briques. Les consoles (ci-contre) et les corniches d'entrée (photographie 4) animent la façade, rehaussés par des cabochons en céramique (certains d'entre eux agrémentent les orifices de ventilation) (photographie 5); par ailleurs, ces dernières, en utilisant deux modèles différents, permettent de personnaliser chacun des logements. La pergola donne sur une cour ouverte*(photographie 6), certes privatisée pour chacune des habitations concernées, pour des raisons d'hygiénisme (déployer autant que possible le front sur rue pour éviter des courettes fermées...). Il faut aussi constater la hiérarchie des matériaux, avec la superposition de meulière, enduit (tyrolienne* laissant supposer une structure en béton), et brique, allant supposément du plus au moins résistant et qualitatif. Enfin, la diversité des ouvertures, associée avec les oriels* et autres loggias* évoquent une volonté d'exprimer les intérieurs de chacun des bâtiments, ce qui serait caractéristique du rationalisme pittoresque* (élévation 1). Malheureusement, la série de dessins conservée aux Archives municipales est incomplète : il manque les plans, ce qui empêche de confirmer ou non cette hypothèse (7).


En revanche, certains éléments renvoient à des usages plus archaïques qui subsistent. Le plus évident est ce pignon à redents qui couronne l'une des demeures (celle la plus à l'ouest) d'inspiration flamande, qui marque un certain éclectisme. Plus discrètement, la séquence formant la cour ouverte* (figure 3) présente une symétrie au niveau des ouvertures, suivant la tradition. Cependant, la recherche globale de ce projet vise une animation d'ensemble au goût du jour.

Il faut noter l'état actuel peu flatteur de l'ensemble, notamment la partie donnant place Jules Ferry, avec un enduit noirci par la pollution et ces enseignes postérieures qui semblent abandonnées... Pourtant ce témoignage intéressant de l'entre-deux-guerres, signalé déjà parmi les premiers ouvrages traitant du sujet de l'architecture domestique de l'époque (8), et inscrit comme "bâtiment à préserver" dans le plan local d'urbanisme montrougien, mériterait davantage notre attention.

Les élévations (façades dessinées) accompagnant le texte proviennent des Archives Municipales de Montrouge, sous la côte 7W276.
Les élévations (façades dessinées) accompagnant le texte proviennent des Archives Municipales de Montrouge, sous la côte 7W276.
Photographie 5
Photographie 5
Photographie 6
Photographie 6
Figure 3
Figure 3

Notes :

(1) Voir JUBELIN-BOULMER Catherine, Hommes et métiers du bâtiment 1860-1940, l'exemple des Hauts-de-Seine, Paris, Centre des Monuments Nationaux et éditions du Patrimoine, 2001, p.159-160, pour plus de détails sur leur carrière. Les deux architectes ont eu également comme enseignant Paulin, architecte de tendance rationaliste qui a notamment réalisé un groupe scolaire à Ivry-sur-Seine et l'hôtel de ville de Pantin.


(2) Les documents consultés sur place, dont certaines photographies sont jointes, sont disponibles dans les Archives municipales, sous la côte 7W276.


Notes (suite) :

(3) Voir ERNEST Gaston, "Concours des Habitations à Bon Marché de la Ville de Paris", L'Architecture, 22 février et 8 mars 1913, pp.58 et 73. L'édifice existe toujours, avec sa façade d'origine, mais reste méconnu des Parisiens.


(4) CHEMETOV Paul, DUMONT Marie-Jeanne et MARREY Bernard, Paris Banlieue, 1919-1939, Architectures domestiques, Paris, Dunod, 1989, p.41.

 

(5) Voir CHEMETOV Paul, DUMONT Marie-Jeanne et MARREY Bernard, Paris Banlieue, 1919-1939, Architectures domestiques, Paris, Dunod, 1989, p.192-195 pour plus de détails.

 

(6) JUBELIN-BOULMER Catherine, Hommes et métiers du bâtiment 1860-1940, l'exemple des Hauts-de-Seine, Paris, Centre des Monuments Nationaux et éditions du Patrimoine, 2001, p.160.

 

(7) Il existe régulièrement une corrélation au moins partielle entre l'intérieur et l'extérieur dans les immeubles, dès l'avant-guerre (voir MARCOVICS Alexis, "La fortune critique d'une production ordinaire : les immeubles parisiens d'Albert Joseph Sélonier", Fabrica, n°2, 2008, p.14), mais celle-ci n'est pas systématique, comme le montrent par exemple certaines réalisations de Nanquette à Courbevoie (DELAIRE et SAGE, "Immeubles en briques à petits appartements", Répertoire de l'Architecture Moderne, éditions De Bonadona, pl.37).


(8) Voir CHEMETOV Paul, DUMONT Marie-Jeanne et MARREY Bernard, Paris Banlieue, 1919-1939, Architectures domestiques, Paris, Dunod, 1989, pp.180; 182-183 pour plus de détails.

 

 

 

Article : Michaël Mendès, Architecte