Deux immeubles de rapport surélevés

Immeuble 1 : 17 rue Edgar Quinet

Architecte/date : CLAUSIER Eugène fils, publié en avril 1906

Immeuble 2 : 53 avenue Aristide Briand

Architecte/date : VIGNAT Joseph-Camille, publié en juin 1893

 

Ces deux immeubles de rapport ont la particularité d'être surélevés par rapport à la réalisation initiale.

Les termes marqués d'un astérisque sont définis dans le LEXIQUE : ICI

Le premier d'entre eux nous offre un grand nombre d'informations. Il est du à un certain Clausier Eugène (fils), dont peu de renseignements nous sont parvenus. Il ne semble pas avoir été (encore) élève à l'Ecole des Beaux Arts, voie principale de la formation des architectes d'alors, aucune mention ne faisant allusion de son passage(1) ; il faut savoir que l'obligation d'être diplômé et inscrit à l'ordre de cette profession ne remonte qu'en 1942. Il s'agit ici de sa seule œuvre qui ait été publiée(2), dans une revue spécialisée dans la construction modeste et l'habitat en région parisienne et en province.

 

Il est tout d'abord possible d'y apprendre que le projet d'origine prévoyait une surélévation ; ainsi, "la maison d'habitation particulière deviendrait maison de rapport — les fondations ayant été prévues, établies en cette prévision".

Il aurait été possible de deviner néanmoins de l'extérieur que la construction a été agrandie (cf photographies ci-contre) : en effet, le premier étage est le plus richement doté aussi bien matériellement qu'en matière décorative, contrairement à l'usage des immeubles d'alors qui soulignaient le deuxième étage (l'étage noble, suivant les conventions italiennes), ou le couronnement, le sommet de l'immeuble.Une tentative a certes été effectuée, par de la brique bichrome* (ci-dessous), mais reste plus modeste que les éléments du premier étage.

 

Façade actuelle sur la rue Edgar Quinet. La pierre de taille au premier étage indique l'emplacement de l'étage noble originel.
Façade actuelle sur la rue Edgar Quinet. La pierre de taille au premier étage indique l'emplacement de l'étage noble originel.

Détail du couronnement de la surélévation.
Détail du couronnement de la surélévation.
Façade initiale
Façade initiale

Ce niveau, plus noble dans un hôtel particulier ne comprenant qu'un étage supplémentaire, devient dans un immeuble de rapport l'entresol, séparant l'étage noble du rez-de-chaussée.

Il est aussi intéressant que les plans présentés (ci-contre), avec les descriptions les détaillant, indiquent cette volonté de transformer la réalisation initiale dès le départ : "une loge de concierge a été réservée pour l'avenir, au service de l'immeuble de rapport. Et en ce dernier cas, une porte serait percée, entre le passage susdit et le vestibule précédent l'escalier de la maison". Le rez-de-chaussée et le premier étage formeraient ainsi le principal logement du futur immeuble, qui migrera dans la majorité des logements ultérieurs à celui-ci au sommet de la construction. Le plan d'étage est divisible en deux ; néanmoins, l'ancien logement de l'entrepreneur pour lequel il était destiné souligne les deux travées centrales par un remplissage en pierre avec chaînages* classiques (élévation et photo ci-contre), laissant supposer que se trouvait à cet emplacement un salon.


L'ornementation, comme en témoigne les documents de l'article, est soignée malgré le caractère relativement modeste de l'opération. Il faut en particulier noter le soin apporté aux sommiers* de la porte cochère*, d'influence gothique, suivant les préconisations de Viollet-le-Duc, chantre du rationalisme(3). A l'origine, une porte secondaire permettait l'accès au logement patronal, toujours suivant cette inspiration moyenâgeuse; malheureusement, celle-ci a été supprimée, comme la verrière latérale à la porte cochère. Il s'agit probablement d'un souci de rentabilité ou de remise aux normes, car ainsi un étage de logements peut être récupéré. Cela indique également la disparition de l'usage mixte de l'ensemble qui combinait logement(s) et ateliers, qui était fréquent jusqu'à la première guerre mondiale... La surélévation présente un aspect plus simple, jouant uniquement sur la bichromie de la brique et employant des linteaux* de fenêtres métalliques (photographies ci-contre).

Notes :

(1) Voir DELAIRE Edmond-Augustin, Les architectes élèves de l'Ecole des Beaux-Arts, Paris, Librairie de la construction moderne, 1907.

(2) En l'occurrence dans "Bureaux et logement à Montrouge (Seine)", L'architecture Usuelle, avril 1906, p.318-320. Les citations concernant cet édifice et les quelques renseignements qui suivent proviennent de cet article.

(3) Cela est généralement admis par la majorité des chercheurs. Voir VIOLLET-LE-DUC, Entretiens sur l'Architecture, Paris, A. Morel et Cie, 1863.


 

Il ne s'agit pas de la seule construction ayant fait l'objet d'un agrandissement de ce type à Montrouge. En considérant uniquement les immeubles publiés, une autre a été également présentée, cette fois ci avenue Aristide Briand. Son architecte, Vignat, est peu connu également : Delaire nous apprend néanmoins que celui-ci effectuait des "dessins pour publications d'architecture, [une] collaboration à la Construction moderne de Planat, [et des] décorations à Paris"(1). Il est décédé prématurément à 47 ans, un an après la publication de son ouvrage dans la Construction Moderne(2).

 

Façade actuelle sur l'avenue Aristide Briand, avec la surélévation.
Façade actuelle sur l'avenue Aristide Briand, avec la surélévation.

Le vocabulaire employé ici, pour la façade principale, est différent de l'immeuble précédent; les principales références sont classiques* (ci-dessus). Il est vrai que la destination est légèrement différente, puisque une étude notariale était incluse. Il faut noter le soin accordé aux vantaux* de porte (ci-dessus), aux clefs de voûtes* des arcs (ci-contre), de la mise en œuvre des matériaux (ci-contre), qui marque effectivement une hiérarchie tout en conférant une impression de solidité (meulière, bossages, calepinage...). L'élévation* sur cour se révèle plus rationaliste* (ci-dessus), avec notamment l'escalier hors-oeuvre* souligné par une verrière verticale, élément souvent repris dans les logements de l'entre-deux-guerres.

L'importance de l'escalier prévu au rez-de-chaussée et l'existence initiale d'une loge laissent supposer qu'un projet de surélévation devait être également prévu à l'origine, même si le logement du notaire occupait bien les deux étages (avec les nombreuses dépendances nécessaires à la bourgeoisie : domesticité, lingerie...). La corniche couronnant le deuxième étage indique cependant l'agrandissement de l'immeuble.

Ce phénomène de surélévation des immeubles demeure peu référencé dans les études effectuées concernant le patrimoine de la première couronne parisienne, alors qu'il a pu contribuer réellement à façonner sa physionomie urbaine.

 


Notes :

(4) DELAIRE Edmond-Augustin, Les architectes élèves de l'Ecole des beaux-arts (1793-1907), Paris, Librairie de la construction moderne, 1907, p.424. La correspondance n'est cependant pas totalement certaine même si elle est probable, le prénom étant absent de l'article de La Construction Moderne.

 

(5) "Maison d'habitation à Montrouge (Seine)", La Construction Moderne, 3 juin 1893, p.413-415, pl.60-61. Certains des renseignements qui suivent proviennent de l'article.

(6) Les adresses des deux immeubles n'ont pas été retrouvées par les auteurs de la base Mérimée. Voir la fiche Mérimée IA00076068.


 

Article : Michaël MENDES, Architecte.